Physique et mysticisme fonctionnent comme huile et vinaigre : il faut les secouer énergiquement pour obtenir une vinaigrette décente. Avons-nous besoin de vinaigrette pour assaisonner notre vie ? La physique quantique explique-t-elle la conscience ?
“J’ondule donc je suis”
Le langage spirituel post-moderne contemporain emprunte beaucoup de verbiage à la science, notamment la physique quantique : fréquences, vibrations, énergie, vide, ondes, champs, quantique ci, quantique ça… Depuis l’émergence du rationalisme, la spiritualité d’aujourd’hui, en particulier dans les mouvements New Age, a opéré de nombreuses tentatives pour connecter et réconcilier la réalité externe objective avec le monde intérieur subjectif. La physique quantique posant une approche non-linéaire et non-déterministe de la réalité, il n’a pas fallu longtemps pour que les gens décident que le non-manifesté et le manifesté se rencontrent au niveau quantique par un acte de conscience, se référant au principe d’incertitude d’Heisenberg et au chat de Schrödinger. Le potentiel infini de la conscience et la volonté créatrice opèrent au niveau des ondes et des particules. Des films tels que “Que sait-on vraiment de la réalité ?” (What the Bleep Do We Know? – 2004) en ont fait une vinaigrette pour le moins épicée.
Quand je me retrouve au milieu d’une conversation qui invoque le monde quantique, je ne m’implique pas et observe en silence (en onde discrète plutôt qu’en particule énergétique). En général les participants n’ont aucune idée de ce que l’énergie, une onde, une fréquence, une probabilité ou le calcul différentiel signifient réellement. Beaucoup font même la confusion entre une onde sonore et une onde électromagnétique. De plus ils parlent quantique avec un esprit newtonien. Comment pourraient-ils faire autrement ? Notre langage commun a construit sa structure en s’attelant à décrire des objets et des relations causales entre eux. D’où le fait que l’on ne peut atteindre une compréhension profonde de la physique quantique qu’au moyen d’équations mathématiques, et non par la langue de tous les jours.
Chaque fois que, par le passé, de nouveaux paradigmes scientifiques ont vu le jour, les gens en ont tordu le sens afin de légitimer leur compréhension qu’ils avaient de la réalité, de la politique à la spiritualité en passant par l’économie. Quand apparut la physique newtonienne, beaucoup pensèrent que l’on pourrait expliquer l’univers tout entier au moyen d’équations déterministes. Si l’on pouvait prédire où se trouverait une planète l’année prochaine et à quelle vitesse une pomme heurte le sol selon la branche d’où elle tombe, cela ne prouvait-il pas notre capacité à prédire tout dans un univers déterministe ? Certes on n’avait pas encore accès à l’infiniment petit (inerte et vivant) qui manifeste des comportements très différents. On ne savait pas encore que la physique newtonienne ne peut s’appliquer qu’aux objets inertes, grands et morts. Le déterminisme devint un modèle pour la société industrielle. Quand les théories de Darwin apparurent, la sélection naturelle devint une religion en économie, clamant la domination naturelle du plus fort et le fait que les marchés suivent des lois naturelles et inaliénables.
Il y a quelques années je tombais sur une publicité dans un bout de journal datant de 1917. Elle faisait la promotion de “pilules de radioactivité” qui pouvaient guérir pratiquement toutes les formes de maladie, de la diarrhée à la goutte en passant par le panaris. L’article décrivait la radioactivité non comme un phénomène physique, mais comme une chose que vous pouvez manger, comme des patates ou des brocolis. La matière, le temps et l’énergie venaient juste de dévoiler l’un de leurs plus intimes secrets. Pas pour tout le monde encore… 🙂
Comme vous venez de voir, de multiples tentatives d’auto-légitimation des idéologies par les modèles scientifiques en cours ont parsemé l’histoire depuis la Renaissance. On retrouve ce même schéma dans la spiritualité.
Je ne dis pas que la science ne peut consolider ou corréler notre expérience spirituelle. En fait, elle le fait, et cela devrait rester l’un de ses objectifs principaux. Cependant, corréler et prouver veulent dire deux différentes choses. Nous perdons la sagesse scientifique, rationnelle et spirituelle chaque fois que nous sélectionnons une phénoménologie extérieure objective pour prouver une expérience intérieure subjective. On commence avec la conclusion — notre expérience — ensuite on choisit les faits scientifiques pertinents en écartant ceux qui ne collent pas, pour construire notre preuve. Ce dessin humoristique à droite en dit plus qu’un long discours. Beaucoup de mouvements spirituels contemporains font exactement la même chose que les créationnistes (un mouvement spirituel de plus), chacun à sa façon.
“La physique quantique prouve-t-elle Dieu ?”
Approfondissons… Voici une interview de Ken Wilber faite par Corey deVos : La physique quantique prouve-t-elle Dieu ? Une interview en anglais, désolé pour les amis qui ne maîtrisent pas cette langue (si une bonne âme veut se dévouer pour traduire, qu’elle me fasse signe).
J’apprécie beaucoup cette interview. Ken Wilber pointe du doigt le verbiage pseudo-scientifique de la spiritualité d’aujourd’hui. Il met en avant trois arguments :
1. Aucun des fondateurs de la mécanique quantique — tous des mystiques pur jus ! — n’a jamais affirmé que la conscience individuelle avait un quelconque contrôle sur la dualité onde/particule. Ils n’ont parlé que de probabilités, de fonctions d’ondes, d’effondrements… En fait leur mysticisme provenait de la nature abyssale et intouchable de la réalité qu’ils pouvaient effleurer derrière le voile de leurs équations. La science essaie de décrire le manifesté et tente de le prédire, elle nous laisse émerveillés face à ce qui produit la réalité manifestée (le champ de la méta-physique). L’expérience mystique s’empare de nous non par suite à un mystère résolu, mais à cause d’un mystère non-résolu. Le Grand Mystère s’impose face aux territoires inconnus et aux dimensions multiples que notre esprit caresse sans pouvoir les embrasser. Seule une conscience plus vaste en a la capacité, au-delà du mental. Il faut alors entrer dans les techniques méditatives, et la conscience transrationnelle.
2. Affirmer que le vide quantique et la conscience relèvent de la même chose, et qu’ils donnent naissance au monde manifesté par l’intention, crée une dualité. On retombe dans la phénoménologie des objets et de leurs interactions causales. La conscience devient une “faiseuse” faisant quelque chose, dans un monde duel. Cela contredit l’essence même, le caractère premier et non-duel de la conscience. J’aime la métaphore de Wilber quand il explique que l’humidité de l’océan n’a rien à voir avec les vagues. Elle se trouve dans la nature de tout, indifférente aux manifestations, aux vagues, aux tempêtes ou aux courants. La conscience demeure neutre avec la matière, l’énergie, les ondes, les états, les effondrements et tout le reste.
3. Comprendre la physique quantique ne fait pas de vous une personne spirituellement éclairée. La physique offre une approche duelle du “ça” (it en anglais), la troisième personne, alors que l’expérience mystique fluctue dans le “je”, le Soi subjectif et non-duel. Le “je” et le “ça” peuvent mutuellement s’inspirer : je puis avoir une expérience mystique en contemplant les équations de Schrödinger, et je peux avoir une illumination mathématique en méditant. Cependant la science en général, et la mécanique quantique en particulier, par leur dualité même, ne peuvent offrir une preuve de la conscience, pas plus qu’une vague ne peut expliquer l’humidité.
Dernier point, mais non le moindre, si l’expérience spirituelle avait besoin de la physique comme explication, alors il nous faudrait jeter nos pratiques spirituelles chaque fois qu’un nouveau paradigme scientifique émerge. L’expérience spirituelle ne peut ni ne doit dépendre de nos cartes temporaires de la réalité extérieure. L’expérience spirituelle a besoin de sa propre ontologie, de sa propre phénoménologie pour le monde intérieur du “je”. Certes la spiritualité emprunte la majeure partie de ses mots à partir du monde manifesté, dans un sens métaphorique. Cela implique l’usage de mots scientifiques. Les choses se gâtent vraiment lorsque les gens confondent la métaphore avec l’explication.
Prenons ici un exemple. Si je dis “j’ai des fourmis dans les jambes“, cela signifie-t-il que j’ai littéralement des fourmis dans les jambes ? Ai-je apporté une explication scientifique ? Bien sûr que non. J’ai juste exprimé mon expérience au moyen d’une métaphore qui nous parle à tous. Mais quand on utilise des expressions telles que nos états superposés de conscience, nos ondes, notre niveau vibratoire, nos énergies… qui donnent du sens par la métaphore, beaucoup de gens ne les comprennent pas, ou ne les emploient pas de manière métaphorique. A leur façon, ils disent littéralement qu’on a des fourmis dans les jambes. 🙂
Quoi de spécial à propos de la physique quantique alors ?

Premièrement, la physique quantique ne manipule plus exclusivement des objets, pas plus qu’elle ne reste enfermée dans notre espace-temps à 4 dimensions. Elle révèle un univers multidimensionnel, non-causal, qui frémit derrière le voile de la réalité construite par nos sens et notre esprit. Chaque tradition spirituelle a reconnu la profondeur infinie de la réalité qui pulse derrière ce voile, je ne connais pas de méditant sérieux qui n’en fasse pas l’expérience directe lui-même. L’allégorie de la caverne, dans le livre VII de la République de Platon, ne dit pas autre chose.
Deuxièmement, la physique quantique révèle l’interconnexion, l’unité, la non-localité de l’univers (intrication quantique). Cela veut dire que chaque objet, onde, phénomène, a une connexion avec tous les autres objets, ondes, phénomènes. Tout a une influence sur tout, indépendamment de la distance. Rien n’arrive de manière isolée et séparée. Cependant, cela n’implique pas que les phénomènes se produisent exclusivement à partir de relations causales, ce qui nous conduit au troisième point.
Troisièmement, la physique quantique transcende (et inclut) la causalité. Sa phénoménologie ne décrit pas une réalité déterministe et linéaire telle que nous la percevons en surface. La causalité continue de se produire dans le monde matériel, mais quelque chose de plus complexe, multidimensionnel et non-causal, se déroule en arrière-plan. Un challenge important s’impose ici : le langage humain a construit sa structure en décrivant un monde duel composé d’objets et d’interactions causales entre eux. Il n’a pas encore la capacité de décrire et socialiser une expérience non-linéaire, non-causale, multi-niveaux, en constante transformation de la réalité. Les mots figent des objets, comme une photo. Aujourd’hui seules des équations complexes peuvent décrire les niveaux les plus profonds de la réalité. Seules de puissantes métaphores peuvent en donner un avant-goût dans le langage conventionnel. La plupart du temps, le langage conventionnel décrit la physique quantique de manière causale. Retour au voile.
Ces trois points quant à la physique quantique décrivent une réalité objective que la méditation atteint subjectivement de manière naturelle, au-delà du mental et des limitations du langage.
N’oublions pas la chose suivante : la conscience n’existe pas en tant que produit de la physique quantique (ou de la physique tout court). La physique quantique existe en tant que produit de la conscience, autant sous forme d’équations mathématiques que dans le langage conventionnel. L’expression (écrite, parlée, symbolique, artistique) provient de nos expériences, tout comme la carte provient du terrain qu’elle représente. Que je sache, on n’a jamais vu de carte créer un terrain.
Le pouvoir de l’esprit sur la matière
Avons-nous besoin de la physique quantique pour prouver que l’esprit contrôle la matière ? Je ne crois pas…
Dans cette vidéo (en anglais mais vous allez comprendre), je vous montrerai comment, en utilisant le pouvoir de mon esprit, je peux déplacer une cucurbitacée d’un endroit à l’autre. Oui, je puis déplacer et influencer la matière, et vous le pouvez aussi ! Cela fait appel à la physique newtonienne, la physique quantique, la biologie, la chimie, l’évolution darwinienne, la génétique, la thermodynamique, les théories de l’information et du chaos, la pataphysique, et beaucoup d’autres “choses” qui existeront dans le futur. Je jure que je n’ai fait appel à aucun trucage, et que vous visionnez une image non trafiquée. Je peux répéter cette expérience dans n’importe quel laboratoire du monde, soumis à une étroite surveillance scientifique.
Eh oui, on tend à oublier ce principe tout simple, que notre esprit et notre volonté (peu importe les mots que vous souhaitez mettre dessus), bougent et influencent la matière tout le temps. A chaque instant, je peux entrer dans cet état extatique où je sens la vitalité de mon être, où je m’émerveille de mon système fait de matière en mouvement, de mon instrument de musique, de ces Legos avec lesquels joue mon âme.
Pourquoi ne pas jouir de ce pouvoir si précieux à chaque instant de notre existence ? Vous rappelez-vous combien cela vous a fait drôle lorsque vous avez vu le jour, en cette réalité ?
Liens intéressants (en anglais) :
- Is Quantum Physics an Idealism? – un article intéressant de Mindful Kettle
- Does Quantum Physics Prove God? – l’article de Corey deVos relatant l’interview de Wilber
Note : ce texte provient initialement de l’article que j’ai écrit en anglais. La langue anglaise offre des distinctions plus riches et plus précises quant au langage spirituel. Par exemple on y opère une claire distinction entre ‘spirit’ et ‘consciousness’. La traduction littérale de ces mots en français (esprit et conscience) ne fait qu’ajouter à la confusion. J’ai donc choisi d’utiliser le mot “conscience” dans tous les cas de figure.
Un excellent article qui tord le cou à bien des égarements New Age… tout en rappelant et en expliquant des faits importants.
Plus la vidéo d’une expérience de kinesthésie à couper le souffle… j’ai tenté de reproduire l’expérience pour mettre la table. C’est un échec.
Merci.
Il fallait que cela soit dit et ce fut dit avec humour et précision… Merci