Dans un précédent article, je vous ai longuement parlé des objets-monstres. Exemples à l’appui, je vous ai expliqué en quoi ils constituent un des plus vieux tours de passe-passe politiques, et comment ils servent à diriger les masses.
Je vous disais, en conclusion, que les objets-monstres appartiennent à une catégorie plus large encore, qu’on appelle les objets-liens.
Et vous savez quoi ? Les objets-liens jouent un rôle absolument essentiel dans tous les systèmes vivants, humains et non-humains. En fait, il n’y a pas d’intelligence collective possible sans la présence d’objets-liens.
Ca va plus loin encore : savez-vous que votre liberté, notre liberté à tous, dépend des objets-liens qui circulent parmi nous ?
Alors, objets-liens qui nous emprisonnent ? Ou objets-liens qui nous délivrent ?
Nous allons voir ça dans cette vidéo.
Donc, qu’appelle-t-on un objet-lien, et à quoi ça sert ?
Eh bien je vous propose de commencer par un petit exercice ensemble. Regardez bien ces images, et tentez de trouver où se trouve l’objet-lien. Si vous trouvez, vous gagnez un voyage dans l’espace avec Jeff Bezos. Nan, je rigole. Je rigole…
Allez, ça tourne.
Passons tout ça en revue maintenant.
Revenons sur le match de rugby. Que désigneriez-vous comme objet-lien ? Le ballon bien sûr ! Si on retirait le ballon, les joueurs se retrouveraient bien embêtés, ne sachant plus vraiment quoi faire. Le ballon circule. Grâce à lui, les joueurs peuvent coordonner et synchroniser leurs actions. D’où le nom d’objet-lien.
Vous avez vu exactement la même chose se produire avec les fourmis dévorant leur proie, et les lionnes attaquer ce pauvre zèbre. Les fourmis comme les lionnes synchronisent leurs mouvements et leurs actions pour attraper leur proie qui, auparavant, aura tout tenté pour leur échapper. La proie représente, là encore, l’objet-lien. Si la proie disparaît, il n’y a plus de coordination de groupe, il n’y a plus d’intelligence collective.
Vous avez vu également un groupe d’éléphants se défendre contre des lions qui veulent attaquer leurs petits. Puis je vous ai montré une scène de confrontation entre gilets jaunes et forces de l’ordre, et enfin M. Macron répéter son fameux “nous sommes en guerre”. Les prédateurs, l’opposant, la guerre… tout cela représente des objets-liens contre lesquels les collectifs s’organisent. Il s’agit des objets-monstres. Si l’objet-monstre disparaît, alors le collectif risque de perdre sa cohésion, voire de se dissoudre. J’en ai longuement parlé dans ma précédente vidéo sur les objets-monstres.
Et enfin, dans les derniers exemples, je vous ai montré des scènes de collaboration autour d’une table, avec des gens travaillant ensemble sur un projet architectural, ou avec des Legos. Ils coordonnaient leurs actions, mais cette fois-ci autour d’une création commune qui sert d’objet-lien. Un projet architectural ou une construction de Legos en équipe.
Finissons sur un exemple de la vie courante. Vous vous trouvez dans le métro, avec vingt autres personnes dans la rame. A ce moment-là, il n’y a pas d’intelligence collective particulière, il y a juste vingt personnes dans un wagon. Mais voilà que tout à coup, un monsieur fait un malaise et perd connaissance. Il faut lui porter secours, appeler le Samu, arrêter la rame à la prochaine station, prodiguer les premiers soins, autrement coordonner de nombreuses actions à plusieurs. Un objet-lien vient d’apparaître – la victime. Cette dernière catalyse une intelligence collective, certes éphémère, mais bien présente.
Qu’appelle-t-on un objet-lien ?
Je peux donc maintenant vous proposer une définition précise de ce qu’on appelle un objet-lien : il s’agit d’un objet physique ou abstrait qui permet à un collectif de coordonner ses actions. Je répète : un objet physique ou abstrait qui permet à un collectif de coordonner ses actions. Un collectif, humain ou non-humain, comme nous l’avons vu dans les exemples. Ça marche pour les fourmis comme pour les éléphants comme pour les humains.
Et je vous ai dit : un objet “physique” ou “abstrait”…
Un objet lien physique, on comprend tout de suite : une proie, un ballon, un prédateur…
Les objets-liens abstraits se trouvent, quant à eux, dans nos représentations mentales.
L’argent par exemple, sert d’objet-lien dans bien des projets humains. On ne court pas après l’argent au sens littéral du terme comme on courrait après un ballon ou une proie, mais on coordonne quand même bien nos actions pour le gagner. Certains le font en montant des entreprises, d’autres font des braquages ou montent des réseaux de drogue, chacun son truc.
En politique, le pouvoir qu’il faut conquérir représente également un objet-lien abstrait.
Autre exemple : une pandémie. Voilà un prédateur invisible, on ne le voit pas littéralement nous courir après, pourtant nous devons bien nous organiser ensemble pour y faire face.
Voilà, vous avez compris je l’espère, avec ces quelques exemples : tout collectif, humain ou non-humain, s’organise toujours autour d’objets-liens, les physiques, comme les abstraits. Je le répète, il n’y a pas d’intelligence collective sans la présence d’objets-liens.
Les trois types d’objets-liens
Des objets-liens, il en existe trois types différents : les objets miam-miam, les objets monstres, les objets art.
Les objets miam-miam
Commençons par les objets miam-miam. Comme leur nom l’indique, on va s’unir ensemble pour attraper une proie trop difficile à chasser tout seul. Vous l’avez vu dans cette image saisissante de lionnes se jetant sur ce pauvre zèbre. On imagine bien aussi les scènes de chasse ou de pêche chez les chasseurs-cueilleurs dans le passé de notre espèce. Chez l’Homo sapiens moderne, le ballon, l’argent, un bulletin de vote, un territoire à conquérir, le pouvoir, tous représentent autant d’objets miam-miam. On s’unit et on se coordonne pour attraper, pour conquérir ensemble ce qu’on n’aurait pas réussi à conquérir tout seul.
Les objets-monstres
Deuxième type d’objet-lien : les objets-monstres. Il faut s’unir et se coordonner contre un ennemi ou un danger commun, exactement comme le faisaient nos amis éléphants face aux félins. Chez l’humain, un virus, le réchauffement climatique, la concurrence, un pays belliqueux, représentent des objets-monstres courants. On fait face à un danger, réel ou imaginaire. Il faut s’unir contre ce danger. Et dans la précédente vidéo sur les objets-monstres, j’ai mentionné combien nos dirigeants politiques se servaient de ces derniers pour manipuler les foules.
D’ailleurs, à l’heure où je tourne cette vidéo, la guerre en Ukraine vient de commencer. Je trouve intéressant de noter combien M. Poutine a pris la place d’objet-monstre #1 dans une grande partie du monde, remplaçant rapidement le Covid dont on ne parle presque plus dans les médias.
Les objets-art

Examinons maintenant notre troisième type d’objet-lien : les objets-art. On ne court plus après une proie ou un ballon ou l’argent, on ne se fait plus attaquer par un méchant prédateur ou un pays belliqueux. L’objet art, on le crée. Plus précisément, on le crée ensemble. On le cocrée. Une innovation technologique, une œuvre d’art, une société idéale, un concert, un projet politique, une entreprise innovante, une famille, une communauté, etc. On fabrique ensemble quelque chose qu’on n’aurait pas pu faire tout seul.
Notez que dans le cas des objets miam-miam et des objets monstres, on fonctionne en réaction. On réagit aux mouvements de la proie ou du ballon, on réagit face à l’attaque de l’ennemi. Les objets miam-miam et monstres ont donc leur propre vie, ils ne nous appartiennent pas, il faut sans cesse s’adapter à ce qu’ils font.
Dans le cas des objets art, ça marche différemment. On passe de la réaction à la création. A chaque fois, on construit ensemble une nouvelle réalité, que l’on actualise sans cesse. L’objet art contient la finalité que nous lui donnons.
Résumons donc. Objets miam miam et monstres : réaction. Objets arts : création.
Il n’y a donc pas du tout la même dynamique.
De la réaction à la création

Alors examinons-les un peu plus en profondeur, ces objets-art.
La plupart du temps, ils commencent par une réaction. Victor Hugo ou Émile Zola, indignés par les injustices et la misère sociale de leur époque, ont écrit les plus grands chefs-d’œuvre de la littérature française. En réponse aux horreurs du bombardement de Guernica en 1937 par les franquistes, Picasso a composé sa célèbre toile cubiste du même nom. Frida Kahlo, quant à elle, a produit ses plus belles œuvres à partir de ses souffrances personnelles.
On pourrait dire la même chose des grandes découvertes scientifiques. La plupart naissent d’une réaction aux incohérences des théories dominantes. On les réfute dans un premier temps, mais le vrai saut se réalise une fois qu’on a pu produire une nouvelle théorie qui décrit une réalité plus vaste que celle d’avant.
Par exemple Einstein, voyant les limitations de la mécanique newtonienne, et les contradictions que cela posait avec l’électromagnétisme de Maxwell, développe en 1905 la fameuse relativité restreinte et son célèbre e=mc2, qui représente une véritable œuvre d’art.
Car, selon moi, une œuvre d’art se définit par une création qui sert d’intermédiation pour entrer dans la conscience de l’artiste. Peu importe qu’il s’agisse d’une toile de peinture, d’une équation mathématique, d’un roman ou d’un discours politique, l’œuvre provoque une transformation au plus profond de nous-mêmes. Elle transmute notre réalité. Par la médiation de l’œuvre, on peut alors rejoindre l’espace psychique, la vision du monde de son créateur ou de sa créatrice.
On peut donc considérer l’art comme une dynamique évolutionnaire de l’humain. Il n’y a pas d’évolution sans art. On peut d’ailleurs se demander, vu le foisonnement incroyable des formes de vie que la nature a produites, si l’art ne relève pas de la fonction la plus essentielle, la plus fondamentale de l’univers, pas simplement chez l’humain. Nous aurons certainement l’occasion d’en reparler.
Le point commun de toutes ces œuvres artistiques que j’ai évoquées – équations, peintures, discours, etc – certes réalisées par des individus, vient du fait que ces derniers ont su transmuter leur réaction à quelque chose en une création. Donc un objet-art. Ils n’ont pas passé leur vie enfermés dans le désir (objet miam-miam) ou le rejet de quelque chose (objets-monstres), ils ont su magnifier et dépasser tout cela pour inventer de nouvelles réalités – l’objet-art. Et malgré le fait qu’il s’agit d’œuvres individuelles, elles n’en portent pas moins une conscience collective qui transcende leur créateur ou leur créatrice.
Vous comprenez donc bien maintenant combien les objets miam-miam et monstres nous gardent enfermés dans des réactions d’appétence ou de rejet, alors que les objets art nous en libèrent.
Mais d’un autre côté, du fait qu’il ouvre de nouveaux champs, de nouvelles potentialités, l’objet-art nous fait plonger dans l’inconnu. L’objet-art peut susciter le rejet, l’indignation, l’incompréhension. Il peut nous terrifier, plus encore que les objets-monstres.
Alors justement, allons voir de plus près le rôle des objets-art dans la société.
Les objets-art dans la société
Voilà deux exemples de discours contemporains qui ont inspiré une grande partie de l’humanité et qui font partie de la mémoire collective. Qu’ont-ils en commun ? Le fait qu’ils nous fassent imaginer, ensemble, un autre monde. Un monde que nous pouvons construire ensemble, et ce, au travers d’une aventure épique.
Martin Luther King nous décrit un monde débarrassé de son racisme et de son ségrégationnisme. Le président Kennedy nous décrit l’aventure épique d’une humanité engagée dans l’aventure spatiale, et qui transcende les querelles nationalistes (même si on sait qu’il y avait la guerre froide derrière tout ça). Ces objets-arts unissent les gens non plus “contre” quelque chose, mais “pour” un monde rendu non seulement désirable, mais possible si nous décidons de le construire ensemble.
Remarquez que les religions font la même chose, depuis la nuit des temps. Ne nous promettent-elles pas des mondes meilleurs, débarrassés de la souffrance, de la haine, de la misère et des guerres ? Ne nous promettent-elles pas un paradis, sur Terre ou dans l’au-delà, vers lequel nous devons unir nos forces ?
Jusque-là, je viens de vous donner des exemples communément vécus comme inspirants. Qui ne veut pas d’une société plus juste, ou d’un paradis sur Terre ? Qui n’a pas envie d’aller visiter les étoiles ?
Mais ne restons pas naïfs. Il ne faut pas croire qu’un objet-art implique nécessairement quelque chose de bien. Hitler et le nazisme nous en ont donné un parfait exemple.

Hitler a commencé par la création d’un objet-monstre, le juif, qu’il a désigné comme la cause de tous les malheurs du monde en général, et de l’Allemagne en particulier. Sur le terreau de cette haine viscérale, il a construit la vision d’un IIIème Reich qui durerait mille ans. Un objet-art démoniaque qui, par sa force d’entraînement, a mis à feu et à sang le monde entier.
Les discours nationalistes de tous les temps fonctionnent suivant cette même séquence : on se désigne d’abord un objet-monstre, source de tous les maux : l’étranger, l’immigré, l’autre religion, le pays voisin… En s’unissant contre lui, on se légitime soi-même comme la normalité qu’il faut préserver.
A partir de là, peut commencer l’écriture d’un nouveau roman national, celui de la société idéale que tout le monde devrait désirer. Cette vision légitime le peuple qui la porte. Elle justifie les actes les plus osés, les plus risqués, les meilleurs comme les pires. Car la fin justifie les moyens.
Notez combien les pays nationalistes et totalitaires actuels font et refont ce qui marche depuis la nuit des temps : la ré-écriture d’une grandeur passée qu’il faut rétablir. Un “bon vieux temps” qui, la plupart du temps, ne s’encombre pas de beaucoup de réalité historique. La grande Russie, la Chine éternelle, America great again, l’empire Ottoman… Peut-être bientôt la bonne vieille France ? Allez savoir… On le voit à chaque fois, ces mythes ont une telle force qu’ils entraînent des centaines de millions de personnes dans leur sillage. Je les considère comme l’objet-art ultime chez les humains.
Cela a un bon et un mauvais côté.
Je commence par le mauvais côté : les leaders habiles arrivent à faire croire aux foules des choses qui n’ont pas grand chose de rationnel ou de vérifiable, et à les entraîner dans des aventures qui peuvent très mal se finir. On l’a vu pour la seconde guerre mondiale, et on ne sait pas comment ça va finir avec la guerre en Ukraine à l’heure où je vous parle.
Le bon côté maintenant : heureusement qu’il y a des rêveurs et des utopistes pour construire des narratifs plus prometteurs que les narratifs dominants. Il y a des fous qui ont affirmé qu’on pouvait voler, là où la plupart des gens disaient que non, qu’on avait jamais vu ça, donc ça que n’arriverait jamais. Il y en a qui ont rêvé de sociétés égalitaires, fondées sur le droit, là où d’autres leur répondaient qu’il n’existe qu’un roi et qu’une religion. Il y en a aujourd’hui qui disent qu’on peut vivre dans un monde qui respecte toutes les espèces vivantes là où la majorité des gens pense encore qu’on a tous les droits sur elles.
Dans l’histoire humaine, on voit donc très souvent ce même séquencement se produire : objet-monstre d’abord, objet-art ensuite.
Nous voilà donc prêts à aller faire un petit tour dans l’actualité sociale et politique en France.
Le paysage politique français
A l’heure où je réalise cette vidéo, je vous le disais, nous nous trouvons en pleine période électorale présidentielle de 2022, et la guerre en Ukraine vient de commencer. Je vais rester focalisé sur les élections présidentielles.

Je ne vais pas me prononcer sur le fond des programmes proposés par chaque candidat, ça, ça vous appartient. Je vous propose plutôt de nous intéresser aux objets-liens qui parsèment leurs discours. Par convention, je vais parler de la droite, de la gauche, du centre, des écologistes, etc, même si de mon point de vue ces classifications ne représentent plus rien de bien concret aujourd’hui.
Dans la précédente vidéo, on a vu que quasiment tous les candidats usent et abusent des objets-monstres pour unir leur électorat contre quelque chose. Pourquoi s’en priver puisque ça marche ? Ainsi la droite présente la gauche comme objet-monstre à combattre, et vice-versa.
Mais allons un peu plus en profondeur.
Lesquels, parmi les candidats, proposent un objet-art, autrement dit une société idéale décrite par un narratif ? Par idéale, j’entends bien sûr idéale selon leur termes.
Je ne vais bien sûr pas analyser tous les candidats les uns après les autres, mais prendre quelques exemples pour illustrer mon propos, et que vous puissiez vous faire votre propre opinion. Vous avez tout à fait le droit de vous sentir en désaccord avec mon analyse.
Bien sûr, vous pourrez à chaque fois me rétorquer que tous les candidats ont un programme, donc un projet de construction de société. Mais avoir un programme n’implique pas qu’on ait nécessairement imaginé une société nouvelle, donc un objet-art. Un programme peut par exemple proposer des solutions précises à des problèmes, sans qu’il y ait la création marquante d’une nouvelle société. Un peu comme si on réparait sa voiture, sans imaginer qu’il y a d’autres moyens de transport.
Commençons par ce qu’on appelle les extrêmes. Extrême droite, extrême gauche, qui, de mon point de vue, ne veulent pas dire grand chose. Ca va peut-être vous étonner, mais Messieurs Zemmour et Mélenchon ont quelque chose en commun : tous deux proposent un objet art. Concrètement, leur discours décrit un nouveau roman national, au travers d’un narratif qui fait appel à l’imaginaire. Donc un objet-art.
Ça reste là leur seul point commun.
M. Zemmour se contente de faire ce que les nationalistes et totalitaristes de tous temps ont fait et continueront de faire : se fabriquer un ennemi – un objet-monstre – puis construire un objet-art dessus, comme je l’ai précédemment expliqué. Pour M. Zemmour, les immigrés et les musulmans servent d’objets-monstres, exactement comme on l’a fait pour les juifs dans les années 1930 en Europe. A partir de là, il développe son objet-art par le narratif d’un passé glorieux et revisité qu’il nous faut reconquérir. Une France d’avant qui renouerait avec ses traditions et ses origines. Comme tous les nationalistes et totalitaristes, il s’appuie sur des éléments historiques réinterprétés à sa façon. Messieurs Erdogan, Trump, Poutine et Xi Jinping font exactement la même chose.
Quant à M. Mélenchon et son parti, Les Insoumis, ils ont bien sûr leurs objets-monstres, en particulier le capitalisme et la finance. Mais notez qu’ils ne s’en prennent pas spécifiquement à une classe particulière de personnes. Ils condamnent des systèmes. Le programme des Insoumis propose une société nouvelle issue d’un acte révolutionnaire pacifique, porté en particulier par une assemblée constituante. Que vous aimiez ou pas cette ambition, il s’agit bien d’un objet-art.
Allons chez les écologistes maintenant, portés par M. Jadot. Ils me semblent désespérément enfermés dans une dialectique de lutte contre de nombreux objets-monstres : réchauffement climatique, pollution, crise énergétique, mondialisation… La transition écologique ne fait pas rêver, elle n’a rien du mythe, elle n’attise en rien l’imaginaire d’une société désirable. Par contre, elle a tout d’une somme incalculable de problèmes insurmontables à résoudre. Or, résoudre des problèmes ne fabrique pas pour autant un objet-art, on l’a vu. Il reste aux écologistes la longue et difficile tâche de construire le mythe, le narratif d’une aventure épique, collective, vers un monde qui nous fasse kiffer, qu’on puisse se représenter dans notre imaginaire, qui nous donne envie de nous retrousser les manches pour le co-créer ensemble. Une terre promise en quelque sorte. Je ne vois rien de tout ça pour l’instant.
Quant au parti animaliste, très minoritaire pour l’instant, il porte la vision novatrice d’une société où l’humain a appris à vivre en paix et en harmonie avec les non-humains, ce qui relève en soi d’un objet-art. Il y a tout à construire pour faire vivre une telle société. Pour autant, à ce stade précoce de son développement, le parti animaliste reste plus accaparé par la lutte contre les objets-monstres liés à la souffrance animale, que par la construction d’un objet-art, celui de notre espèce qui aurait évolué vers un nouveau stade de compassion.
La plupart des autres candidats aux présidentielles de 2022, pour ce que j’en vois, même s’ils ont un programme, n’ont pas activé de mythe, donc d’objet-art. A droite, certains se contentent d’un discours sécuritaire et identitaire réchauffé, comme Madame Le Pen ou Madame Pécresse. A gauche d’autres candidats brandissent des valeurs sociales qui ne mobilisent plus grand monde du fait des errements du passé.
Quant à M. Macron, il a l’intelligence stratégique de rester en dehors de la mêlée aussi longtemps que possible, comme s’il se trouvait au-dessus des petites guéguerres entre candidats. Il s’impose comme celui qui combat héroïquement les vrais gros objets-monstres comme la pandémie ou la guerre. Pour autant, ni lui ni le parti d’En Marche n’ont jamais proposé d’objet-art. Ils ont plutôt développé une approche technocratique de la gestion du pays, en se prétendant détachés de la vieille polarité droite-gauche. Une sorte de loi du “bon sens”, de la bonne gestion d’une startup nation qui transcenderait les visions politiques étriquées.
La crise du Covid a donné lieu à une réponse technocratique et de techno-surveillance des citoyens, mais n’a certainement pas enclenché une réflexion de fond sur le “monde d’après”. Il n’y a eu ni mythe, ni narratif, ni objet-art. M. Macron continuera donc probablement d’attirer celles et ceux qui se sentent encore suffisamment privilégiés dans la société actuelle que nous connaissons, ainsi que ceux qui ont besoin de se sentir protégés par un homme-providence. On n’a pas besoin d’objet-art pour ça.
Évolution ou régression ?
On a vu que “objet-art” ne voulait pas dire forcément quelque chose de bien. Il s’agit d’une création simplement.
Alors demandons-nous pourquoi certains candidats proposent un passé dont il faut réactiver la grandeur, et d’autres un futur qui reste à construire de toutes pièces ?
Ce choix se base sur une dynamique bien connue de la conscience et de la psyché humaine. Dynamique que vous pouvez aussi vérifier en vous même.
Imaginez que dans votre vie, ça n’aille plus du tout. Le présent et tout ce qui le compose ne peut plus durer comme ça. Votre relation amoureuse, votre job, la société dans laquelle vous vivez, peu importe. Vous ne pouvez plus en rester là, vous devez bouger, faire quelque chose. Deux choix se présentent à vous : tenter de retrouver un passé que vous connaissez, avec lequel vous vous sentez familier, ou tenter quelque chose de nouveau que vous n’avez jamais fait.
La première option paraît plus rassurante, évidemment. Il a un côté familier, ce passé, puisqu’on y a vécu. On a toujours tendance à l’idéaliser, à gommer de notre mémoire tout ce qui n’allait pas. Le passé idéalisé et revisité nous rassure, on engage alors une dynamique de régression, de refuge. Une option proposée, on l’a vu, par certains candidats à la présidentielle.
La seconde option – se lancer dans une aventure épique pour un monde qui reste à construire – s’avère bien plus angoissante et risquée. Nous avons peur de l’inconnu et rien ne nous garantit qu’on va réussir. Oser ce saut dans l’inconnu demande du courage et de la maturité. Parfois, on préfère rester avec ces objets-monstres, car on les connaît bien au bout du compte.
Alors, vous, comment vous vous sentez ? Avez-vous plutôt tendance à retourner dans les valeurs sûres du passé, dans les références que vous connaissez, ou préférez-vous vous jeter dans l’aventure d’un futur inconnu qui reste à construire ? Pour votre vie personnelle, ou pour la société en général.
Lors des élections de 2022 et les suivantes, les français choisiront-ils un objet-art régressif ou un objet-art progressif ? Ou se contenteront-ils simplement d’un candidat ou une candidate qui propose des solutions pour se maintenir aussi longtemps que possible dans le monde présent, avec son paysage d’objets miam-miam et monstres, mais sans objet-art particulier ?
Comment construire vos objets-liens dans votre quotidien ?

Voilà l’occasion de nous demander comment identifier et organiser nos objets-liens dans notre quotidien.
Je vous propose pour ça de vous livrer à un petit exercice. Cet exercice, vous pouvez le faire dans votre milieu professionnel, dans votre famille politique, ou simplement avec vous-même.
Faites un tableau avec trois colonnes : les objets miam-miam, les objets-monstres, les objets-art. Puis commencez à brainstormer. Notez tous les objets-liens qui peuplent votre réalité, et placez-les dans la colonne correspondante.
Si vous faites cet exercice pour votre entreprise, vous penserez peut-être à des objets-liens comme l’argent, la concurrence, un produit à fabriquer, un projet social, des matières premières, des parts de marché, des clients, les cyberattaques, les charges sociales, le chômage, etc. Certains miam-miam, certains monstres, certains art.
Si vous faites cet exercice pour vous même, individuellement, vous penserez peut-être à des objets-liens comme la reconnaissance, l’argent, une promotion professionnelle, un amoureux ou une amoureuse, une famille, la santé, la sécurité, la maison de vos rêves, etc.
Certains objets-liens peuvent figurer dans plusieurs colonnes à la fois. Par exemple, pour beaucoup de gens, l’argent peut à la fois représenter un objet miam-miam – on travaille ensemble pour le gagner – et un objet-monstre : on a peur d’en manquer, ça nous pourrit la vie, etc.
Une fois que vous aurez rempli les colonnes, prenez un peu de recul, méditez, observez. Pourquoi avez-vous classé les objets-liens de cette façon, dans telle et telle colonne ? Quelqu’un d’autre les aurait-il classés différemment ? Auriez-vous envie, vous-même, de les classer différemment, et si oui, pourquoi ?
Car il faut savoir qu’un objet-lien n’appartient pas intrinsèquement à une catégorie déterminée. Vous pouvez considérer une vague de 10 mètres comme quelque chose qui va vous écraser comme une crêpe – un objet-monstre – ou comme une merveille à surfer – un objet-art. Vous pouvez considérer un saut en parachute comme la fin de votre vie – un objet-monstre, ou comme une pure partie de plaisir – un objet-art. Vous pouvez voir l’argent comme un mauvais maître qui dicte votre quotidien, ou comme un bon serviteur qui vous permet de réaliser de belles choses. Vous pouvez considérer une maladie ou une pandémie comme une fatalité, ou comme une occasion à saisir pour réinventer votre vie ou la façon dont fonctionne la société.
Autrement dit, dans bien des cas, on peut se poser la question suivante : comment transmuter les objets miam-miam et monstres en objets-arts ? Comment passer de la réaction à la création ? Car je le rappelle, en réaction vous n’avez pas, ou très peu de liberté, alors qu’en création, vous pouvez à tout moment décider de la réalité que vous voulez dérouler devant vous.
A tous les gens qui ont peur de l’immigration, comment faire de celle-ci une opportunité ? A tous les gens qui ont peur de la pandémie, quel monde nous invite-t-elle à créer ? A tous les gens qui subissent les ravages de l’argent et de la finance, comment inventer des monnaies citoyennes ? A tous les gens qui s’indignent de la personnalité effroyable de certains dirigeants politiques ou patrons d’entreprises ou oligarques, à tous ceux qui s’indignent de l’ultra-concentration des pouvoirs et des richesses, comment construire une société vraiment participative, distribuée, qui ne construise plus des pyramides sociales avec des prédateurs à leurs sommets ?
En court : comment œuvrer pour plutôt que seulement lutter contre ?
Conclusion
Voici venu le moment de conclure en cinq points.
Premièrement, nous avons vu le rôle indispensable des objets-liens dans tout collectif, humain comme non-humain.
Deuxièmement, nous avons passé en revue les trois sortes d’objets-liens : les miam-miam, les monstres, les art.
Troisièmement, j’ai partagé avec vous ma vision des objets-liens dans le contexte politique électoral français, en ce début mars 2022. Je l’ai fait à titre d’exercice, vous pouvez bien sûr avoir une interprétation très différente. L’essentiel consiste à développer votre propre regard sur les objets-liens qui vous entourent, dans votre vie personnelle, dans votre univers professionnel, dans votre pays.
Quatrièmement, plus vous aurez une vision claire des objets-liens qui parcourent votre champ social, plus vous gagnerez en clarté d’analyse et en capacité de décision, pour vous-même, et avec les autres.
Cinquièmement, pour construire votre liberté, vous devez essayer de transformer les objets miam-miam et monstres en objets-art. Et si possible, des objets-arts qui nourrissent la compassion, le bien à autrui, plutôt que la haine de l’autre. Là se trouve votre évolution et celle du monde.
Car n’oublions jamais cela : le monde de demain ne naîtra pas de nos réactions, il naîtra de nos créations.
Peut-être que certains ou certaines d’entre-vous on pensé que j’ai, au cours de mon analyse, émis une préférence politique. Alors bien sûr, comme tout le monde j’ai une sensibilité à certains critères, mais ne vous y trompez pas. Je ne crois pas une seconde aujourd’hui que les structures pyramidales – les Etats, les partis politiques, les entreprises, les institutions – puissent répondre aux enjeux de notre siècle. L’intelligence collective pyramidale ne peut pas répondre aux enjeux de notre siècle. Au contraire, elle les produit.
Notre espèce se trouve donc à un tournant évolutionnaire. Elle doit inventer des formes nouvelles d’intelligence collective distribuées, qu’aucun parti politique ou candidat aujourd’hui ne propose, même si certains souhaitent faire des pas dans cette direction. Cela nous invite à développer une science de l’intelligence collective, une science de l’ingénierie sociale, que je partage avec vous ici, en vous parlant notamment des objets-liens.
Références
Objets miam-miam :
- Ants carrying dead spider
- Ant colony feeding
- Lion hunting zebra
- Rugby : Israel Folau Full Highlights
Objets-monstres :
- A Herd of Elephants Interrupt a Feasting Lion Pride
- Gilets jaunes : acte 17 Montpellier
- Discours de M. Macron “Nous sommes en guerre” du 16 mars 2020
- Le Dictateur, séquence du ballon – Charlie Chaplin – 1940
Objets-art :
- Kennedy : we choose to go to the moon – 12 septembre 1962
- Martin Luther King “I have a dream” – discours du 28 août 1963
- Hitler, l’ascension d’un monstre
Vidéos diverses :
-
- Machette juggling challenges – MadManDan
Photos :
- Candidats présidentielle – France Info