Noël 2021 a déjà commencé. Guirlandes illuminées, supermarchés en transe, offres commerciales partout sur le net, calendriers de l’avent… Papa Noël va bientôt descendre dans nos cheminées et emplir nos petits souliers de jolis cadeaux.
Enfin, il va surtout entrer dans nos cheminées digestives et emplir nos estomacs de jolis cradeaux (un mot que je viens juste d’inventer et dont je me sens très fier). On va pouvoir refestoyer, se rattraper par rapport à l’horrible Noël de 2020 sauce Covid. Champagne, saumon fumé et foie-gras à gogo !
D’ailleurs, pas plus tard que ce matin, j’ai reçu la newsletter de Que Choisir, magasine indépendant de défense des consommateurs que je soutiens par mon abonnement depuis de nombreuses années. Et là, quelle belle surprise !
Voici les sujets évoqués : “Guide d’achat foies-gras“, “Comparatif truites et saumons fumés“, “Comment choisir ses huîtres“, “Repas de fêtes – Les accords mets et champagne” (sachez agrémenter avec le bon champagne votre saumon fumé, les fruits de mer, le foie-gras, les poissons, les charcuteries, les volailles, les viandes, les fromages…).
Et pour conclure, un article intitulé “Un menu de Noël éthique“.
Vous ne voyez pas, comment dire… une petite dissonance cognitive ?
Qu’y a-t-il d’éthique avec des assiettes remplies de cadavres et de mort ? Que célèbre-t-on exactement ?
Lisez-le cet article sur le “menu de Noël éthique”. Ça vaut le détour.

Il vous expliquera comment on tente de faire du foie-gras “éthique”, avec l’animal trucidé au bout du compte, même si on l’a (un peu) moins malmené dans sa courte existence. On vous conseillera le chapon Label Rouge “éthique”, “car il a accès au plein air durant les premières semaines de sa vie […] et n’est pas engraissé en cage“. Label Rouge, une garantie de bien-traitance des animaux, comme on sait. Jugez-en par une de ces nombreuses enquêtes de L214. Et pour les saumons “éthiques” ? “L’élevage français, confidentiel, reste une bonne option car les poissons y sont plus libres de leurs mouvements.” Haha, la belle affaire ! Notez bien le “plus” devant libres. Le poulet fermier Le Gaulois va pouvoir nous faire un grand cocorico. Éthique bien sûr.
L’équipe éditoriale de Que Choisir colporte-t-elle ce même courant “éthique” qui, aux XVIIIe et XIXe siècles, revendiquait le “bien-être des esclaves” et le comportement “humain” qu’on devait avoir avec eux ?
Ça existe le bien-être chez un esclave ?
Ça existe le bien-être chez un animal d’élevage ?
Ça existe le bien-être chez un être sensible qu’on emprisonne, qu’on viole, qu’on torture, qu’on exécute ? On peut faire tout ça “humainement” ? Éthiquement ?
Il faudra qu’on m’explique, moi je n’ai toujours pas bien compris.

D’une manière plus large, d’où vient cette force de la culture qui fait que l’immense majorité des gens ne voient pas ce qu’il y a réellement dans leur assiette ?
En définitive, on ne voit pas le monde. On l’interprète.
On l’interprète à l’aune des filtres culturels installés dans notre psychisme. Pour la plupart automatiques et inconscients, car déposés dès la petite enfance.
J’en reviens à la newsletter de Que Choisir, notre sujet d’étude (il pourrait y en avoir plein d’autres).
Que les autres journaux grand public chargés de répéter la bonne doxa défèquent ce genre d’articles sur la façon de fêter Noël, on a l’habitude… Mais Que Choisir ? Quel monde promeuvent-ils donc ?
“Que Choisir est au service des consommateurs pour les informer, les conseiller et les défendre“, écrivent-ils.
Au delà de cette mission bienveillante, ne devraient-il pas aussi s’intéresser à leurs propres filtres culturels et les porter sous les projecteurs de la conscience ? Les assumer et les annoncer dans leur ligne éditoriale ?
Le temps ne vient-il pas, enfin, de s’affranchir du concept même de “consommateur” ? Il a fait son temps, ce concept. Pire : cette vision du monde. Nous devons entrer dans les économies circulaires, systémiques, intégratrices de tous les êtres vivants. Des économies dans lesquelles il n’y a plus des gagnants d’un côté et des perdants de l’autre. Le crash test d’un objet ou d’un service ne suffisent plus. Il faut en examiner l’empreinte écologique, la réparabilité, l’obsolescence programmée, le bilan carbone, la philosophie de l’entreprise, la souffrance infligée aux êtres, humains comme non-humains.
La newsletter de Noël que j’ai reçue ce matin me paraît aller exactement dans le sens contraire. Elle vante un monde déjà mort. On en reste au “consommateur”, cet insatiable glouton qui patauge dans sa propre finalité. Il a payé son bien et son service, on lui doit vénération et protection.
Nos amis de Que Choisir oseront-ils dire “Il y a des catégories de produits qui génèrent tellement de souffrances que nous ne les mettrons plus dans nos test” ? N’en parleront-ils que pour les déconseiller ? S’ils répondent positivement à mon courrier en ce sens (en copie ci-dessous), je leur proposerai mon aide. Il y a plein d’idées et de données issues de la recherche à leur offrir.
Peut-être alors pourront-ils à leur tour inspirer d’autres médias ?

Courrier adressé à Que Choisir (12 décembre 2021)
Je viens de recevoir la newsletter du 12 décembre 2021 intitulée “Repas des fêtes de fin d’année : faites les bons choix avec Que Choisir !”.
Je trouve son contenu outrageant et indigne de Que Choisir. Comment encore, de nos jours, conseiller des horreurs telles que le foie gras, le saumon, et tout ce consumérisme “de fête” qui tue des millions d’animaux, et qui de plus nuit à la santé des gens ? Qu’y a-t-il de “festif” à remplir son assiette de cadavres ?
Même l’article “Bien-être animal – Menu pour un Noël éthique” s’inscrit dans ce sillon dépassé d’un consumérisme épais, prédateur, alcoolisé, extractif et ultra-violent pour les animaux. La photo en vignette d’une poule fagotée dans un ruban de paquet cadeau (fichier joint) en dit plus que mille mots sur votre façon de voir les choses. Quelle illustration de bon goût ! Dans cet article “conseil”, vous préconisez des labels (notamment le Label Rouge) dont des associations comme L214 ont déjà largement montré leur participation à des pratiques effroyables sur les animaux. Quel genre de “journaliste” peut écrire un article aussi insipide, superficiel et niais sur le “bien-être animal” et un “Noël éthique” ? Renseignez-vous !
QueChoisir ne semble donc pas avoir évolué sur la question animale puisqu’on continue d’y comparer, goûter, classer, recommander des produits issus de leur souffrance et de leur massacre de masse, sans aucune mise en garde sur la réalité des faits. La newsletter que j’ai reçue ce matin le montre cruellement. Certes vous abordez le sujet de temps en temps dans des articles plus fouillés (“Fromages et viandes – Des labels pour consommer mieux ?”, “Bien-être animal – Le consommateur détient la clé”…), mais quels engagements avez-vous pris auprès de vos lecteurs ? En quel sens les aidez-vous à évoluer ? La newsletter de ce matin ne montre rien en ce sens, bien au contraire.
Votre regard du monde ne peut plus s’arrêter au seul “produit final” qu’on évalue pour lui-même, surtout s’il implique une large part de souffrance infligée aux autres, humains et non-humains. La vision linéaire “produit – consommateur” a fait son temps. Vos tests et analyses sur les produits et services devraient offrir une approche systémique, déployer une vision au travers d’une éthique englobante qui va au-delà de la seule qualité nombriliste pour le consommateur final. Quelles conditions de travail ? Quel impact sur l’environnement ? Quelle empreinte écologique ? Quelle réalité pour les animaux ?
Cette newsletter représente la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Mon fidèle abonnement à QueChoisir depuis tant d’années s’arrête-là. Il n’y aura pas de renouvellement. Je me désabonne dès ce matin de cette newsletter qui sait si bien promouvoir un monde d’huîtres, de charcuterie, de fromages, de chapons, de poissons, de foie gras… un monde de mort, un monde déjà dépassé. Je ne vis plus dans ce cimetière-là depuis longtemps. Je ne peux que souhaiter au magazine d’évoluer, d’oser dire non à ces pratiques sans avenir. L’oserez-vous un jour ?
Pour l’instant, au revoir.
Jean-François Noubel
(1) voir l’excellent ouvrage sur le sujet “Les abolitions de l’esclavage” de Marcel Dorigny – Editions Que sais-je.
PS : pour ceux qui connaissent ma façon de m’exprimer en f-prime (le français sans le verbe “être”), j’ai fait une exception assumée sur le titre de cet article. J’aimais trop le jeu de mots 🙂
Merci Jean-François pour ta façon de révéler ses angles morts avec tact et respect.
Encore un de tes nombreux talents.
Amitiés
Merci pour tes mots Bernard-Marie ! Ça m’encourage toujours à continuer et faire mieux !
Excellent, ce coup de gueule! Je me permets de mettre le lien vers votre article in extremis dans ma newsletter que je suis en train d’envoyer. Merci… merci! Je tente de faire de mon côté ce qui est possible pour interpeller sur ces horreurs. Noël et la Dinde, Pâques et l’agneau etc. si vous êtes intéressé je peux vous faire parvenir mes articles sur le sujet 😉
Bonjour Christine, merci pour votre retour qui me touche. Volontiers pour lire vos articles sur le sujet !