Le 22 mars 2012 Mohamed Merah succombait aux balles du RAID, après 10 jours de psychose en France. Même depuis ma retraite d’écriture au Mexique, je ne pouvais échapper aux échos venant de mes proches et amis. J’ai fini par m’offrir un petit bain de presse pour constater l’immense couverture médiatique, les manifestations de solidarité, les minutes de silence, la pléthore de témoignages destinés à nourrir les reportages gloutons du “toujours plus” car, comme on sait, les médias ont horreur du vide. Quant aux candidats à la présidentielle, chacun y allait de son petit mot destiné à flatter un électorat accroché au mamelles des discours sécuritaires et populistes. Tous invitaient de nouveau à s’indigner contre le racisme et l’antisémitisme. Ils pointaient du doigt, une fois de plus, les seuls vrais fautifs, j’ai nommé les extrémistes et autres al qaïdistes de tous poils…
A l’instant où j’écris ces mots, la marmite chauffe sur le feu de l’actualité. L’occasion, pour moi aussi, de tremper un petit post dans ce gruau médiatico-politique. Je ne cherche nullement ici à minimiser l’horreur de cette tragédie, pas plus que je ne renie la douleur des familles. Pour autant, quelques questions me taraudent…
Et si nous allions tous manifester pour les nains de jardin victimes de la Françafrique et des sodas?
Il y a eu, d’après ce que j’ai lu et suite aux tweets que j’ai vu passer, des marches ainsi que des moments de silence pour manifester la solidarité aux victimes et familles. Aussi pour dénoncer le racisme et l’antisémitisme. Ceci, notons-le, avant de savoir quelles motivations réelles ont animé le tueur. L’imaginaire social avait donc déjà construit son propre narratif.
Alors voici ces quelques questions qui agitent mon esprit candide : pourquoi ne voit-on pas de manifestations et mouvements de solidarité pour les 66.000 morts annuels du tabagisme en France (5 millions annuels dans le monde) ? En France encore, comptons les milliers de morts liés aux polluants atmosphériques et les micro-particules, les 4.000 morts sur les routes, dont 31% à cause de l’alcool. N’oublions pas notre solidarité avec les 180.000 morts en France de maladies cardio-vasculaires (17 millions dans le monde), dont 80% dus à “une mauvaise alimentation, à un manque d’activité physique, au tabagisme et à l’usage nocif de l’alcool” (source OMS). On peut approfondir avec les sodas, le sel (25.000 morts/an), l’agriculture intensive, les fast food et j’en passe. On continue avec les 780.000 victimes de la malaria dans le monde ? Ah oui, j’allais oublier : il faut aussi manifester notre solidarité envers victimes de la Françafrique, et celles tombées sous les armes que le pays des Droits de l’Homme fabrique et vend dans le monde entier (4ème exportateur mondial). Pour des raisons humanitaires et de “défense”, et tout ceci scrupuleusement contrôlé par l’État, bien entendu, dans un soucis de santé et d’équité collective.
Pour clore cette liste déjà longue, je voudrais aussi manifester ma solidarité avec le FLNJ –le Front de Libération des Nains de Jardin. Oui, je l’affirme haut et fort : les nains de jardin aussi grossissent le rang des victimes.
Allez, regardons maintenant les faits en face : Mohamed Mehra ne représente qu’un épiphénomène comparé aux abyssales questions de notre société. Un moustique sur le champ de bataille de l’ignorance. Même le terrorisme en général, nous devrions le voir comme un phénomène mineur si l’on compare le nombre de victimes qu’il provoque face aux millions de gens qui passent de vie à trépas à cause de nos modes de vie, de notre gloutonnerie et de notre obscurantisme. Pourtant les terroristes, les tueurs, les serial-killers, les pédophiles, les schizophrènes, les braqueurs, mais aussi les stars, les people, la jet set, et même les saints, occupent le devant de la scène.
Pourquoi ?
Je reformule la question : quels mécanismes de la psyché collective font qu’un Fantômas captive — que dis-je, magnétise ! — totalement l’attention, et la détourne des choses essentielles ? Pourquoi ne portons-nous pas plus d’intérêt pour la société elle-même, qui porte en elle le terreau, le substrat et la raison d’être même de ses Fantômas ?
Je vous propose ici d’offrir un petite séance de stretching (ou de step) à nos petites cellules grises, histoire de ne pas aller bêtement grossir l’immense troupeau de moutons qui suit… l’immense troupeau de moutons. Nous allons parler de Michel Foucault, des objets-liens, des arbres qui tombent et de la forêt qui pousse.
Michel Foucault, magistral
Dans son ouvrage “Surveiller et Punir“, le philosophe Michel Foucault, par une analyse historique et sociologique d’une remarquable rigueur, a magistralement démontré comment la société a besoin de ses criminels, délinquants et terroristes. Non seulement elle en a besoin, mais elle les fabrique et les perpétue, par polarisation. Le cycle se déroule ainsi :
- Un jeune entre en révolte contre la société. Vu qu’il n’a pas encore assez de maturité pour fonder une stratégie citoyenne ou politique, ses actes se construisent, dans la plupart des cas, sur l’impulsivité et l’agressivité. On brûle une voiture, on vole, on deale…
- Le jeune révolté entre fissa dans le cycle carcéro-judiciaire. Noyée dans cette spirale infernale que Foucault appelle la taxinomie des délits, la révolte originelle devient un délit de droit commun. Chaque délit a son nom, sa référence, son étiquette, dans le grand catalogue du code pénal : vol, trafic, trouble à l’ordre public, réunion en bande organisée, etc.
- Notre apprenti révolutionnaire part en prison, autrement dit à l’école du crime. On y apprend à bien voler, à bien tuer, à vivre pleinement sa violence, à haïr la société. On y développe une conscience égocentrée dans un espace de non-droit. N’espérons pas y faire “pénitence” (intention originelle de l’établissement pénitentiaire) : le système carcéro-judiciaire apparaît lui-même tellement corrompu, dysfonctionnel et imbibé de pathos, qu’il ne fait que souffler plus encore sur les braises de la révolte et de la haine. Les personnes emprisonnées, à ce stade, ne se rendent pas compte à quel point elles deviennent totalement prévisibles en entrant dans le tunnel carcéro-pénal. Ce faisant, elles commencent à rendre le véritable service que la société leur demande.
- Une fois libéré, son diplôme de vrai délinquant en poche (première étape), voire de vrai criminel (étape suivante), le révolté se retrouve non seulement polarisé et polarisant, mais il opère dans une dynamique qui ne lui appartient plus. Il ne voit plus ses actions qu’à travers des actes délinquants ou criminels, et non par une dialectique révolutionnaire qu’il n’a jamais eu le temps de faire maturer.
La société dispose désormais de son “autre”, conscrit dans taxinomie pénale et toute l’ontologie réductrice qui s’y associe. La société peut désormais légitimer son mode de vie, ses partis pris, sa culture, en jetant sur “l’autre” le voile de l’inconscience sur ses propres miasmes. J’appelle ce processus auto-légitimation par polarisation. En définissant l’autre comme un affreux, un alien, je me pose comme base de la normalité.[1]
M. Sarkozy nous en a d’ailleurs fait une brillante démonstration concernant Mohamed Merah : “Chercher une explication au geste de ce fanatique, de ce monstre, laisser entrevoir la moindre compréhension à son égard ou pire lui chercher la moindre excuse, serait une faute morale”, annonçait-il devant ses fans de l’UMP. “Mettre en cause la société, montrer du doigt la France, la politique, les institutions, ce n’est pas digne. Ce n’est pas faire preuve d’un esprit de responsabilité dans un moment où la Nation a d’abord besoin d’unité“, a-t-il poursuivi.
Il a donné le ton, non ?
Ainsi peu importe son statut de terroriste, de serial killer, de pédophile, de pyromane, de maniaque, de schizophrène, de dictateur, ou de saint… cet autre a toujours un dénominateur commun : il ne s’apparente pas à nous, il vient d’ailleurs. Le nous incarne la norme, et la norme installe l’illusion qu’il existe un socle stable et absolu sur lequel les gens normaux marchent. Ce nous-norme procure ainsi l’illusion primaire d’une sécurité existentielle.
Monstres, les objets !
Je quitte la sociologie et l’histoire pour remettre maintenant ma casquette de chercheur en intelligence collective, et je vais évoquer les objets-liens. Si vous voulez approfondir, je vous renvoie à “Intelligence collective : la révolution invisible“.
Un objet-lien se définit par un objet circulant autour duquel nous coordonnons nos actions et construisons notre sens du collectif. La proie chassée par une meute de prédateurs, le ballon de foot après lequel courent les joueurs, font partie des objets-liens. Clés de voûte de l’unité sociale, par eux les collectifs coordonnent et actualisent leurs actions. Plus de ballon ? Plus de jeu, plus d’équipe. En plus des objets-liens matériels, les humains disposent aussi d’objets-liens symboliques et abstraits : de l’argent à gagner, des objectifs à remplir, des trophées à remporter, des fléaux à combattre, des œuvres à réaliser, etc. On distingue 3 types d’objets-liens : les objets miam-miam (on court après pour les attraper), les objets monstres (on s’unit pour se défendre contre), et les objets art (on s’unit autour d’une création commune).
Vous vous en doutez, l’actualité nous a fourni un formidable objet monstre. L’objet monstre représente un des plus vieux tours de passe-passe politique et médiatique qui existe, et qui marche toujours aussi bien. L’idée consiste à stigmatiser quelque chose ou quelqu’un, à le déclarer comme monstrueux et dangereux. On mobilise les regards, les attentions, on oriente le vecteur des actions collectives, par polarisation. Pendant quelques jours, Mohamed Merah a occulté la liste des maux que je mentionnais sarcastiquement plus haut. Sur le champ de bataille, on s’indigne d’un moustique. Après lui, il y aura l’objet monstre suivant, puis le suivant, et ainsi de suite. Dans la panoplie des objets monstres, on en trouve d’opportunité (Dominique Strauss-Kahn, magnifique spécimen en 2011), et des constants, comme le terrorisme et Al Qaïda.
Peut-être un jour aurai-je l’occasion, avec quelque bon historien, de réécrire l’Histoire vue par ses objets-liens, en particulier les objets monstres. Il y a eu les barbares, les infidèles, les sorcières, les juifs… Plus récemment, le Bloc de l’Est — les communistes. Une fois ceux-ci disparus, il fallait vite s’inventer de nouveaux objets monstres. Apparurent subitement les terroristes, avec en particulier cette belle création occidentale : Al Qaïda. Le propos d’Alain Chouet, ex-directeur de la DGSE, à ce sujet me paraît éloquent (et on ne pourra pas dire que cela vient d’un révolutionnaire ou d’un activiste). Il nous décrit par le menu tout ce que la fabrication d’un objet monstre déclenche, et comment ce dernier finit par exister pour de bon.
Qu’il s’agisse d’un Hitler, d’un Bush, d’un Staline ou d’un Kadhafi, on oublie que ces “monstres” poussent sur le terreau d’un collectif, d’une société entière. Les dictateurs, tyrans et autres affreux du pouvoir n’ont jamais opéré seuls que je sache. Entre les intrigants de cour d’un côté, et les peureux serviles de l’autre, se met en place la pyramide sociale et sa chaîne de commandement. Elle se tisse sur les petites lâchetés, les petits compromis qui, mis bout-à-bout, deviennent compromission et dressent un collectif bien réglé et obéissant. Une fois le tyran tombé, la société peut entamer sa digestion par l’écriture d’un nouveau mythe — sa transmythation devrais-je dire. L’ancien tyran devient objet-monstre. Tout arrivait par sa faute. Kadhafi en incarna un bel exemple récent. Autrification de celui auquel, auparavant, la masse obéissait… le tour de passe-passe marche bien.
Alors, objet monstre dérisoire et illusoire, notre tueur fou de mars 2012 ? N’appartient-il pas à cette longue collection de faits divers qui simplifient notre réalité et nous isolent, pour quelques temps du moins, d’un monde infiniment trop angoissant et complexe pour nos consciences encore peu éveillées ? Merah s’inscrit dans le processus d’auto-cohésion sociale par objets monstres.
L’arbre qui tombe…
Je commence souvent mes conférences avec cette citation dont je ne cesse d’apprécier la profondeur :
L’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse.
L’arbre qui tombe incarne ce qu’on appelle un signal fort. Un signal fort opère une rupture de continuité dans le cours normal des choses. On l’associe en général à un danger immédiat. Aussi notre appareil sensoriel, survie de l’espèce oblige, dispose-t-il d’un don particulier pour détecter les signaux forts et réagir immédiatement, souvent de manière conditionnée. Notons également que notre façon de narrer la réalité s’articule aussi autour du séquencement des signaux forts, des ruptures de continuité, ce qu’on appelle les événements. Rien d’étonnant, donc, à ce que nos médias se concentrent uniquement sur les arbres qui tombent. Ainsi contribuent-ils à maintenir en place un niveau de conscience pour le moins archaïque qui ne sait voir le monde et la réalité que par ses accidents. Les arbres qui tombent.
Voir la forêt qui pousse nous invite à une toute autre démarche. Il nous faut longuement accueillir une myriade de signaux “faibles” : des jeunes pousses par-ci, des insectes par-là, un champignon ici, des oiseaux là, etc. Nous devons méditer, nous laisser imprégner par une extrême complexité systémique de signaux à peine saisissables. Observer, accueillir… Nous laissons alors opérer une autre forme d’intelligence, une intelligence holistique, sensorielle, connective. Elle inclut bien sûr l’aspect factuel et déductif (le rationnel), mais dispose de la capacité d’intuitions et de mises en relations infiniment plus complexes que ce que le rationnel sait faire. On active une intelligence inspirée. Celui qui s’y initie et la développe vous dira toujours qu’il a l’impression que cela lui vient d’ailleurs.
Ainsi celui qui prend le temps d’observer, de laisser opérer cette intelligence holistique en lui, finit par recevoir la révélation d’une forêt qui pousse. Non seulement elle pousse, mais ce fait s’avère beaucoup plus fondamental que les arbres qui tombent. Ces derniers font certes partie de l’équation, mais ils en deviennent une variable mineure. Notre observateur entre dans une autre réalité. Il se rend compte que tout autour de lui ses pairs ne voient le monde que par la petite lorgnette, une approche uniquement fondée sur les accidents, partielle et partiale : celle des arbres qui tombent. L’allégorie de la caverne, de Platon dans son livre VII de la République, ne dit rien d’autre que cela.
Mohamed Merah, comme tous les faits que nous servent les médias, devient un arbre de plus qui tombe. La réalité sociale, les programmes politiques, les réactions des activistes sociaux, des mouvements des grandes entreprises… tout cela se vit et s’agite dans cette réalité superficielle, réductrice et agitée d’arbres qui tombent.
Pourquoi cette superficialité et cette illusion collectives ?
Parce que nous avons-là un autre phénomène d’agrégation et de cohésion sociale très efficace : l’ignorance. Il ne faut pas voir en l’ignorance une simple absence de connaissance et d’expérience. L’ignorance représente souvent un processus actif, qui se maintient et se perpétue par lui-même. En intelligence collective, nous voyons et démontrons très bien comment, par exemple, certaines structures grammaticales ou sémantiques agissent comme des gardiennes actives de l’ignorance. Idem pour certains codes sociaux. On voit alors l’ignorance comme une matrice qui anime et maintient en vie tout un corps social. Un égrégore, diront certains. Là encore, un terrain fertile à explorer pour l’intelligence collective.
…à quand la forêt qui pousse ?
Auto-légitimation par polarisation, objets-monstres (et miam miam), ignorance active… voici trois processus de cohésion sociale brillamment mis en avant dans l’affaire Mohamed Merah, comme dans toutes les affaires qui tissent le narratif de nos collectifs.
Trois processus qui nous oblitèrent d’une réalité plus dense, plus profonde, à laquelle ne semble pas encore préparée la conscience balbutiante de l’humanité. Trois marqueurs qui permettent de voir à quel point nos sociétés vivent encore bien ancrées dans leurs phases infantiles et archaïques. Je dis bien “sociétés” en leur sens collectif, car en leur sein, de nombreux individus ont déjà fait un chemin d’éveil, parfois à un niveau avancé. Mais, noyés dans le substrat social, l’émergence des éveillés en tant que collectif cohérent demande la patience des siècles.
A ce jour, les grandes civilisations humaines n’ont pas encore construit une conscience ni une langue capable de percevoir les flux dans leur continuité, leur “non-histoire”. Elles ne savent ni voir les forêts qui poussent, ni en construire un narratif. Elles devraient y parvenir bientôt, l’intelligence collective holomidale semblez l’annoncer.
Voir la forêt qui pousse, laisser la conscience infuser nos êtres, devenir les créateurs de nous mêmes demande d’engager le plus beau et le plus périlleux voyage qu’on puisse imaginer : la connaissance de soi.
[1] Pensez-vous que je parle en théoricien ? Si vous le pensez en lisant ces lignes, je vous mets au défit de savoir qui, de nous deux, fonctionne de manière plus théorique, cher lecteur, chère lectrice. Ce que j’évoque ici, je l’ai vécu et expérimenté moi-même. J’ai étudié chaque ligne du travail de Michel Foucault alors que je me trouvais moi-même en prison, au début des années 90. A tous les étages de la machine à broyer judiciaire, j’ai fait le constat de la justesse des propos de ce remarquable sociologue, philosophe et historien. Par ma propre récidive, ma propre “délinquantisation”, j’ai vu en moi s’opérer les mécanismes de la révolte qui se travestit en actes délictueux de droit-commun. Il m’a fallu des efforts intenses et longs pour sortir de ce cycle infernal. Pardonner, me reconstruire, lentement, avec patience, et transformer mes pulsions initiales de révolte en actes créateurs et artistiques, ce qui a fait de moi un homme qui se vit comme libre aujourd’hui. De tous ceux que j’ai connus durant mes aventures, je n’en connais aucun qui ai pu totalement se reconstruire. [retour]
[…] La société dispose désormais de son “autre”, conscrit dans taxinomie pénale et toute l’ontologie réductrice qui s’y associe. La société peut désormais légitimer son mode de vie, ses partis pris, sa culture, tout en jetant le voile de l’inconscience sur ses propres miasmes. C’est ce que j’appelle un processus d’ auto-légitimation par polarisation . Fantômas, les nains de jardin, Foucault, et la forêt qui pousse […]
Merci Jean-François !
Bonheur de te lire.
Lumineux, brillant, … comme d’habitude … j’attends avec impatience le livre !!
passionnant. et poignant pour le (1).
Merci.
Merci Jean-François!
Excellente analyse! Merci de ramener de l’intelligence dans cette foire intellectuelle!
Just came across this very good article by Jonathan Rauch about agents-modeling and artificial-societies:
Seeing Around Corners.
Felt a link, from another perspective, with the content of your post, Jean-François.
Merci pour cette perspective qui m’a aussi libérée de quelque chose. Face à ce phénomène de société, je ne pouvais pas m’empêcher d’être mal à l’aise avec tous les articles de prêt à penser sur lesquels je tombais sans y trouver d’autre fil à tirer qu’aux deux extrémités, aucune des deux ne me permettant de penser. En tirant ce fil là, je vais pouvoir détricoter allègrement ce croquemitaine “en l’haine”.
merci
“Est-ce que je parle en théoricien ? Si c’est ce que vous pensez en lisant ces lignes, je vous mets au défit de savoir qui est le plus théoricien de nous deux, cher lecteur, chère lectrice.”
Pour répondre à cette question, j’aimerais d’abord revenir au problème qui vous a inspiré cette note: la psychose médiatique autour de ce fait divers.
A mon avis, ni vous ni moi ne sommes des théoriciens face aux émotions que cette psychose médiatique éveille en nous, et je vais essayer de vous le démontrer. Une semaine avant ce drame une autre psychose médiatique a bouleversé des millions de femmes et d’hommes aussi en Belgique et en Suisse, donc pas vraiment concernés par les guerres électorales de nos autres amis francophones. Je vous invite à étudier de plus près le point commun à ces deux psychoses: massacre d’enfants dans le cadre scolaire. D’où emballement des médias, dans les deux cas. Simplement, dans le cas des victimes belges en Suisse, le coupable était… un mur.
Donc, essayez de ré-écrire votre note en remplaçant Merah par un mur quand vous posez le problème, au début de la note. Je suis curieuse du résultat: il me semble qu’il y a derrière la colère et l’impatience que je lis derrière vos lignes non pas de la théorie, effectivement, mais une expérience émotionnelle (de la prison?) qui vous fait voir ce fait divers à travers une lorgnette différente de celle que déforme ma propre expérience émotionnelle (pour ma part, intelligence collective ou pas, rien à faire, je reste une maman qui pleure à chaque drame touchant un de nos petits, et pourtant Dieu sait que je sais aussi faire de la théorie quand l’univers est calme).
Expérience de divergence intéressante en tout cas. J’ai lu votre note comme totalement inhumaine avant de prendre conscience de ma propre lorgnette émotionnelle (pas touche à nos petits, grrr!).
Maintenant pour revenir à la théorie… l’intelligence collective sans l’émotion collective sera-t-elle encore humaine?
Bonjour Capucine,
Tout d’abord, merci beaucoup pour votre commentaire, dont j’apprécie la profondeur et la pertinence. Vous m’offrez une belle réflexion, je m’y livre avec joie. J’ai remplacé en moi Mohamed Merah par ce mur qui fut le théâtre de ce terrible drame que vous mentionnez, et observé quelles émotions et pensées émergeaient.
Sur le plan factuel d’abord, j’observe que les deux faits — Merah et le mur — ne reçoivent pas le même traitement de la part des médias. Dans le cas de Merah, on retrouve les 3 ingrédients que j’ai mentionnés dans mon post : auto-légitimation par polarisation, objets-monstres (et miam miam), ignorance active. Dans le cas du mur, les journalistes traitent cela comme un fait questionnant la société et le destin en général, de ces drames inévitables qui arrivent statistiquement au milieu de millions de flux et de masses qui se meuvent à grande vitesse. Les mécanismes sociaux mis en perspective ne semblent pas les mêmes. Seule la 3ème manifestation “ignorance active” me paraît ostensiblement présente dans le cas du mur. Je m’explique : ce drame indique un arbre qui tombe, certes terrible et terrifiant. Une fois de plus, il vient occulter les signaux faibles qui pourtant provoquent beaucoup, beaucoup plus de morts, y compris de nos enfants. La mauvaise nourriture, le tabac, les armes, l’alcool, les comportements déviants, la normalisation scolaire et la pensée unique, tuent plus d’enfants chaque année qu’un bus lancé contre un mur. Or, notre réaction face à ces fléaux reste très limitée puisque cela ne se manifeste pas comme un arbre qui tombe, à savoir un signal fort. D’autre part, comme je disais, lorsqu’on apprend à voir les signaux faibles, on apprend aussi à voir le vivant et la conscience en train de se tisser. Non seulement cela donne du baume à l’âme, mais cela transforme toute notre perception de la réalité. Si vous comprenez l’anglais, vous trouverez dans la section “conférences” de ce blog, une conférence intitulée “Our species evolves, and you?”, qui aborde ce point-là.
En ce qui concerne mon expérience intérieure, je dois déjà vous dire que je n’ai ressenti ni ne ressens aucune colère dans l’affaire Merah, ni dans quoi que ce soit aujourd’hui. Ma vie intérieure reste passionnée mais sans passions, engagée mais sans attachement, intense mais sans colère ni violence. Ainsi mes propos peuvent-ils avoir les attributs de la passion, de l’attachement ou de la colère, alors qu’ils n’expriment que de la passion, de l’engagement et de l’amour de la vie, avec un soucis particulier pour l’exactitude (le chercheur qui parle). La démarche qui s’engage en moi lorsqu’un drame arrive, consiste à aller chercher au fond de l’âme : que venons-nous vivre ? Quelles expériences ? La notion de “victime” relève-t-elle d’une réalité cosmique ? Comment vivrais-je la chose si cela arrivait à mon petit garçon ? Comment réagirais-je si un jour je devais aller retrouver son petit corps mutilé dans une morgue ? Peut-on surmonter cela ? Y a-t-il un enseignement ? Un stade dépassable ? Quel sens pour nos âmes respectives ? Quelles formes émergent de cela ? De manière plus étendue, quelle expérience vivent un bourreau et sa victime, un parent et un enfant, un employeur et un employé, un docteur et son patient, un(e) amant(e) et son amant(e) ? Pour se familiariser avec ces situations, il faut soit les vivre directement, soit s’en imprégner via la méditation et toutes les techniques possibles d’exploration de la conscience.
Je me suis engagé sur les deux voies, celle de l’expérience directement vécue, et celle de l’expérience acquise par empathie et compréhension des mécanismes de l’âme. J’essaie de faire en sorte de poser chaque pas consciemment. Cela me place aujourd’hui, je crois, en capacité de vivre empathiquement l’expérience de tout être humain pour peu que j’y consacre effort et intérêt, et de pouvoir ainsi partager sans détour avec ceux qui vivent ou ont vécu lesdites expériences dans la réalité physique et factuelle. J’ai des amis qui ont connu la torture ou le viol, d’autres la disparition d’un enfant…. Quelques amis très proches vivent en ces instants leurs derniers jours. Ensemble nous parlons, sans évitement aucun. Cela représente une expérience unique du fait que nous vivons dans un monde qui n’ose se confronter aux questions de ce que nos âmes viennent réellement vivre, par delà les illusions.
Donc pour en revenir à ce terrible accident en Suisse… il ne m’affecte pas, pour être très franc. Non par indifférence, mais plus précisément parce que chaque jour, chaque instant, ma pratique me rend présent à ces expériences. Il n’y a pas de jour sans que j’explore l’expérience de la disparition de l’être aimé, ou de ma propre mort. Morbide ? Que non, cela ne me rend que plus vivant encore, et sensible aux arbres qui poussent.
Quant à l’émotion dans l’intelligence collective… je vous retourne la question : peut-il y avoir une quelconque réelle intelligence sans émotion ?
Certains pensent que la puissance analytique, tout comme l’intelligence pratique et opérationnelle s’opposent naturellement à celle de l’émotion. Voilà malheureusement une expérience souvent vécue dans nos sociétés qui éduquent des humains à qui l’on a patiemment désappris les pouvoirs de l’émotion. Cette dissociation n’a rien d’un état naturel. Donc l’émotion touche à une thématique chère à l’intelligence collective, croyez-moi.
Je partage le lien vers une réflexion lucide de Jean-Marie Muller en espérant qu’elle enrichisse ton billet Jean-François: À propos des crimes commis par Mohamed Merah – NOUS AUTRES MEURTRIERS.
Je la trouve elle aussi nourrissante par rapport à mon regard sur le monde et sur moi-même, elle aussi une belle invitation à Vincent à continuer à œuvrer avec/sur/en lui-même.
Fantômas, les nains de jardin, Foucault, et la forêt qui pousse… l’actualité d’avant toujours d’actualité. http://t.co/WHEAMliAhB
Les forêts qui poussent c’est par ici
http://www.courantpositif.fr/une-foret-comestible-de-7-hectares-se-developpe-a-seattle/
ou par la
http://www.dailymotion.com/video/xahmcw_permaculture-global-gardener-milieu_webcam
Bisous et viens donc boire un jus à la maison …
RT @jfnoubel Fantômas, les nains de jardin, Foucault, & la forêt qui pousse – l’actualité d’avant tjrs d’actualité http://t.co/WHEAMliAhB
[…] le normatif en invoquant le comportement marginal ou peu mature de quelques uns. On invoque les objets-monstres. Toute cette démarche fait partie de l’ADN de l’intelligence collective pyramidale. […]